Petit poste de police galactique du coin, le vieux bâtiment grisâtre marque l'entrée du quartier sud de Ryzhof, mégalopole surpuissante, et qui, comme toutes les mégalopoles, comporte des quartiers à l’odeur de béton, au goût de misère, aux allures de spectre, et dans lesquels l’insécurité est devenue le maître mot de soixante-quinze pour cent de la population.
Peu fréquentés, les alentours font peur, et le peu de personnes se rendant sur les lieux le font incognito, de peur d'être reconnu et de perdre toute dignité. Dans ces bas-fonds croupissent les marginaux, fourmillent les criminels et les gangs, et persévèrent les malheureux membres de la police.
Ce ne sont pas tant les conditions terribles dans lesquelles ils travaillent qui affectent ces hommes de loi que le nombre de personnes avec lesquels ils peuvent dialoguer pour éponger leur peine. Ils ne sont qu'une dizaine à lire des dossiers miteux assis à leur bureau branlant pendant des heures, et pourtant, ils parviennent encore à jouer un rôle suffisant voire satisfaisant. Leur morceau de béton est toujours là, ultime rempart contre la criminalité montante.
L’inspecteur Ivan Remmin, chargé des enquêtes sur les délits mineurs, est le chef de cette bande de courageux policiers galacticains en décrépitude. Âgé d’une quarantaine d’années, il a étudié longuement dans le but de devenir procureur, pour au final se retrouver dans ce véritable radeau de la méduse. Il n’en reste pas moins un meneur d’hommes exemplaire et a su le démontrer au cours des derniers mois.
En effet, il est logique qu’un tel regroupement de l’état en gêne quelques-uns, c’est pourquoi le poste est quotidiennement soumis à l’adversité, et ses hommes ont dû par de nombreuses fois avoir recours à la force pour maintenir l’ordre à ses alentours, et ce, toujours avec succès.
Lundi matin, reprise hebdomadaire du travail pour la moitié des membres de la police, l’autre moitié partant seulement en congé, sécurité oblige. Les lieux sont morbides, les visages graves, les yeux rougis. Encore une série de sept jours qui s’annoncent difficiles…
<<Hé Ivan, tu m’écoutes ?>>
L’inspecteur, assis à son bureau, releva la tête, épuisé. Il toisa le jeune homme d’un mètre soixante-quinze et vingt-huit ans qui l’observait d’un œil bleu et d’un regard surexcité. Inspecteur Eli Tamail, le seul ici qui partageait le rang d’Ivan, toujours aussi enjoué, quelle que soit la situation…
Et d’un air désabusé, Ivan répondit :
<<Qu’y a-t-il, gamin ?>>
<<Nous avons enfin une affaire intéressante, mon grand.>>
Il ouvrit de grands yeux, puis un tas de dossiers qu’Eli lui avait tendu. Vols en série, sans aucune preuve, et ce …
Ivan n’en crut pas ses yeux, il releva à nouveau la tête vers Eli, et celui-ci répondit sans attendre de questions.
<<Dans le quartier résidentiel sud-ouest, exactement.>>
<<Bordel, on va aller faire une enquête chez les riches ?>>
<<Et oui, malgré les mesures de sécurité incroyables qu’ont mis en œuvre les autorités locales, l’anguille se faufile, et un soir par semaine, commet un vol.>>
<<Et bien… voilà qui va nous dégourdir les jambes. Des indices ?>>
<<Depuis quand on doit tout t’apporter sur un plateau, grand con ?>>
<<Tu as raison, mais…>>
Il se retourna, observa les bureaux délabrés, les ampoules dont la moitié était grillée, les cartons humides renfermant des dossiers à l’odeur infecte, le lino troué qui servait de sol, les portes aux vitres cassées, les chauffages qui n’avaient plus qu’un rôle de décor, les fenêtres…
<<Mais quoi ?>>
L’inspecteur Tamail l’avait sortit de sa torpeur.
<<Aura-t-on une quelconque gratitude de la mairie voire même de l’état pour ce que l’on va faire ? Et puis après tout, c’est bientôt les congés de deux semaines pour nous…>>
<<T’es qui, toi ?>>
<<Hein ? Bah Iv…>>
Eli avait un grand sourire figé.
<<Sale môme…mais tu as raison.>>
Et il se leva énergiquement, manquant de renverser son bureau. Tout le monde – c’était peu dire – le regardait, à présent.
<<Messieurs…et mademoiselle – ajouta-t-il en observant Sofia, l’étincelle de vie dans les lieux austères –. Nous avons du pain sur la planche !>>
Et c’est ainsi que les bureaux furent rangés, les autres affaires mises en stand-by, les voitures sorties du garage, les tours de veilles mis en place, que beaucoup partirent chez eux le cœur léger, et que ceux qui restaient avivaient le feu allumé en eux par deux hommes, Remmin et Tamail.
Cette semaine, avant que la moitié de la police parte en congés, ils auraient attrapé le fauteur de troubles, et ils auraient gagné la reconnaissance de tous.