Nous ne vivons jamais que pour attendre l’instant unique de l’accomplissement du destin.
Tout le reste n’est qu’occupation ou contribution aux destinées des autres.
Lorsqu’il s’accomplit en avons-nous même conscience ?
Ne faut il pas laisser s’écouler les années, les mois les jours et les heures avant de comprendre que nous avons commis le geste, prononcé la parole, porté le regard pour lequel nous existions.
C’est dans cette acuité que l’on pèse nos vies et ce qui les remplit, que l’on remet à sa juste place ce qui était hier, l’essentiel, l’important, le vital, pour ne considérer que la rencontre éclatante de deux âmes qui se sont données l’ultime rouage de leurs construction, la parcelle de foi nécessaire pour se convaincre qu’on a existé et après laquelle on peut mourir en paix.
Cet à l’instant précis, où on reçoit enfin la lumière et où l’on prend la mesure de la vanité de ce qui a précédé et de ce qui suivra, qu’on peut s’assoir, là, par terre, au milieu de la voie que l’on s’était tracée pour choisir sa vie avec la conscience révélée de la futilité de ce choix
Celle qui était devenue Tahora Mikrinis marchait dans les ruelles sombres de la vieille ville, le jour pointait à peine.
L’éclairage blafard semblait vouloir multiplier les ombres plutôt que les chasser.
La femme tourna au coin de la rue du chat et se dissimula dans l’ombre d’une porte cochère.
Elle leva les yeux sur le bâtiment dressé de l’autre coté de la rue.
C’était l’arrière d’un immeuble de bonne facture, massif et sobre.
Son regard gris en examina tous les aspects, chaque pierre, chaque saillies, chaque ouverture.
Elle quitta la cape sombre qui lui couvrait les épaules et la plia avant de la glisser dans une poche de sa tunique. Elle sorti de sa ceinture un petit outil long et fin qu’elle coinça entre ses dents puis un mince filin à l’extrémité duquel était attaché un grappin.
Elle fit tourner le grappin trois ou quatre fois avant de le projeter sur la façade où il vint s’accrocher sur l’appui d’un vasistas.
Elle grimpa silencieusement jusqu’à l’ouverture, silhouette grise presque invisible dans les ombres de cette fin de nuit.
Une fois la serrure crochetée elle fut dans la place.
Longeant les murs, Tahora suivait un long couloir sombre pour arriver devant la porte qu’elle cherchait.
Elle l’ouvrit précautionneusement et entra dans la chambre. Le corps de l’homme endormi bougea un peu et Tahora s’immobilisa.
Elle entendait sa respiration régulière et profonde entrecoupée de légers ronflements.
S’approchant de lui, elle espéra qu’il avait accompli sa destinée puisque sa vie allait prendre fin.
Elle sortit la dague effilée de son fourreau, inspira et adressa une ultime prière pour l’âme qui allait s’élever.
La lame glissa sur le cou de l’homme, le sang gicla jusque sur le tapis puis s’écoula dans un sombre gargouillis. Tahora regarda les draps clairs s’empourprer saisit d’une foi quasi mystique. Chaque fois qu’elle aidait une âme à s’élever elle ressentait la même exaltation.
Se détournant du cadavre exsangue, elle fouilla la pièce avec minutie et trouva ce qu’elle cherchait dans le double fond du tiroir de la table de nuit.
Une petite boite anthracite incrustée de saphir.
Son client lui avait demandé de ne pas l’ouvrir.
La loyauté de la voleuse était plus forte que sa curiosité. Elle rangea la boite dans sa poche et ressortit de la maison aussi silencieusement qu’elle y était entrée.
Le soleil était à son zénith quand la mince jeune femme brune monta dans le chasseur qu’elle avait affrété et ce n’est que tard dans la nuit qu’elle rejoignit l’auberge.
Elle s’immobilisa quelques instants devant la porte comme saisie d’angoisse avec le sentiment d’avoir frôlé une abomination.
Elle secoua la tête pour s’en dissuader et entra.