La quête de Salomon

Il marchait depuis maintenant trois jours. Son pas était moins sûr et le soleil deserticain, intraitable bourreau, dardait sur son front ses rayons caniculaires.
Il lui semblait que le sable du désert avait envahi chaque pore de sa peau et qu’il s’insinuait dans ses poumons douloureux, l’emplissant de ses grains et alourdissant son allure.

Ils étaient pourtant partis plein d’espoir dans cette expédition deserticaine. Le département magique des Procréateurs de combination avait eu vent de la présence d’un important artefact dissimulé dans les ruines du temple de Darhanar au cœur du désert du Sikhar atlis. Cet objet devait permettre un approfondissement important des travaux de recherche actuellement en cours sur les arcanes de la magie défensive.
Salomon et son équipe de chercheurs s’étaient portés volontaires pour aller l’y chercher et s’étaient mis en route avec l’enthousiasme des explorateurs.

C’était un pas de trop, l’homme chuta lourdement sur le sable dans un gémissement. Il était épuisé et n’avait pas envie de se relever pour continuer le calvaire de sa fuite. Juste fermer les yeux et mourir, arrêter la souffrance …. Mais le souvenir de l’agonie dans le regard de ses hommes lui donna un sursaut de courage, l’envie d’encore un peu se battre … pour eux !
Il se releva et reprit sa marche lancinante.

Ils avaient installé leur camp, dans une petite oasis, à proximité du vieux temple presque entièrement enfoui sous les sables du désert.
C’est Markos qui en trouva l’entrée et la petite équipe commença l’exploration du site.
Les parties inférieures du temple étaient composées d’un dédale de tunnels par lesquels on arrivait à de grandes salles souterraines dont les hauts murs étaient recouverts de mystérieux pictogrammes.
Nalla, spécialisées dans les langues anciennes, relevait soigneusement les échantillons d’écritures qui lui permettraient de la traduire.
Mais ce premier jour d’exploration ne leur permit pas de trouver l’artefact.
Le soir autour du feu de camp, ils firent le bilan de leur journée et des projets pour le lendemain.
Markos, un peu fatigué, préféra se retirer. Pour lui il n’y eut pas de lendemain car il fut retrouvé mort sous sa tente, son visage reflétant l’agonie de ses dernières heures.

Pas à pas, de tortures en souffrances, l’homme marchait. Markos …. La première victime, l’ami de toujours et l’officier fidèle …. Comment pourrait il y avoir encore une vie sans Markos dans mon ombre ? se demandait Salomon qui commençait à ne plus savoir différencier ses souvenirs de son délire….


Après avoir placé le corps de Markos dans une chambre réfrigérée du vaisseau, l’équipe de chercheurs, le cœur lourd, continua néanmoins, ses recherches dans les sous sol du temple. Ils étaient loin de penser que Markos n’était que le premier d’une longue série de décès inexpliqués. Salomon vit, un à un les membres de son équipe, s’affaiblir et succomber.

- Nous ne pouvons pas rester là dit il un matin à son équipe, nous devons abandonner pour sauver ceux qui peuvent encore l’être.
Il eut les larmes aux yeux en constatant que Nalla portait déjà sur son beau visage les stigmates de la maladie, alors que penchée sur son petit ordinateur elle travaillait sans relâche à la traduction des pictogrammes.

Nalla … Salomon avait hurlé son nom dans la solitude du désert brulant. Nalla pétillante d’énergie, Nalla si merveilleusement belle, Nalla gémissante de plaisir dans ses bras amoureux Nalla si vivante … Salomon eut un sanglot, sa vue se brouilla mais il continua à avancer … pour elle cette fois.

Lorsqu’elle s’étendit, épuisée sur leur couche, Nalla était d’une pâleur mortelle. Salomon s’assit à ses cotés et elle posa sa main douce sur sa joue comme pour s’assurer qu’il écouterait avec attention ses dernières paroles.

- Salomon, j’ai traduis les pictogrammes, ce temple est protégé par une légende ancienne, une malédiction touche ceux qui y pénètrent, cette malédiction parle d’un prix à payer, elle dit que pour obtenir l’artefact il y a un prix, mais je n’ai pas pu tout traduire.
Je pense seulement que ceux qui ont donné l’information qui motiva notre expédition, à la source, l’ont fait pour nous entrainer dans la mort, ceci était un piège.
Il faut que tu fuies maintenant, échappe-leur et sauve ta vie …. Ne les laisse pas gagner acheva-telle en un dernier souffle.

Une larme coula sur la joue de Salomon, il ferma les yeux de celle qu’il avait tant aimé, passa son index sur ses lèvres comme pour rêver à nouveau sa respiration mais il savait que c’était fini.
Quand Salomon sortit de la tente où reposait Nalla, Hermione l’attendait, le visage décomposé.
- Que se passe-t-il ? demanda le chef de l’expédition.
- Les circuits électroniques du vaisseau sont entièrement détruits répondit Hermione, comme rongés, comme vérolés de l’intérieur, comme cette putain de gangrène qui est en train de tous nous tuer !!
Nous somme coincés dans ce trou et on va crever acheva-t-elle d’une voix de plus en plus aiguë, presque hystérique.

Salomon la gifla,

-- Calme toi maintenant Hermione, préparons nous nous devons fuir.
Hermione sembla retrouver ses esprits. Ils rassemblèrent quelques affaires et partirent vers l’Est. Ils n’étaient plus que trois.

Aujourd’hui Salomon était seul, il avait dû laisser les cadavres de ses compagnons aux charognards du désert pour continuer sa terrible marche sous le feu du soleil deserticain qui craquelait sa peu de plaies sanglantes. Sa vue se brouillait un peu et il du plissait les yeux pour savoir si ce qu’il voyait au loin était bien un arbre. Non ce dit il ma fin approche et la chaleur, épuisement me montrent des mirages. Il se dirigea néanmoins dans cette direction, que lui restait-il à perdre ? Le rêve semblait de plus en plus réel au fur et à mesure qu’il s’en rapprochait et cela lui donnait un regain de courage. Une fois qu’il eut atteint ce qui semblait être une petite oasis, il posa sa main à plat sur le tronc de l’arbre comme pour s’assurer de sa réalité. Il ressentit avec soulagement la chaleur du tronc rugueux.

- Te voila donc Procréateur !

Salomon n’avait pas vu le mage debout à coté du minuscule point d’eau.
Il était grand et paraissait sans âge, il portait la toge verte des mages vertaniens ce qui rendait sa présence encore plus incongrue au milieu du désert deserticain.

- As-tu trouvé ce que tu cherchais en ces contrées hostiles ?
- J’ai trouvé bien des choses, j’ai trouvé le deuil, j’ai trouvé le malheur, j’ai trouvé la peur et la douleur mais je n’ai pas rempli ma quête.
- Salomon, un artefact d’une telle valeur ne se trouve pas, ne se découvre pas, ne se prend ni ne se vole, pour l’obtenir il faut en payer le prix et ce prix est terriblement élevé.
- Le prix … murmura Salomon
- Oui le prix se paye en une monnaie qui seule à de la valeur dans les sphères de la magie, tu as payé le prix de l’amour, celui de l’amitié, tu as payé le prix de la souffrance et celui du désespoir, le prix du doute et le prix du courage. Oui Salomon tu as payé le prix de l’artefact. Si certains t’ont envoyé ici en espérant que tu payerai le prix à leur place ils se sont lourdement trompés. Pour obtenir l’objet c’est personnellement qu’il faut le payer, le payer de ses tripes et de ses angoisses mais surtout le payer de son propre courage.
Le mage tendit un objet à Salomon et un petit cube doré gravés de minuscules volutes tomba au creux de sa main.

Il avait atteint l’extrême limite de sa résistance physique et sa tête se mit à bourdonner. Salomon tomba, inconscient, aux pieds du mage.

Légère sensation d’une main fraiche sur son front brulant. Était-il vivant ?
Salomon ouvrit les yeux et se rassura de la vision d’une femme qui vaquait à ses occupations dans une de ces tentes, habitations des peuples nomades. Le vent du désert soulevait doucement le panneau de tissu qui en était la fermeture et le jeune homme vit que la nuit était tombée.

Il grimaça, ressentant une douleur dans sa main droite.
Y portant son regard, il vit son poing fermé, douloureusement contracté et ses ongles qui s’enfonçaient dans sa paume. Tout doucement, il ouvrit un à un ses doigts et vit le petit cube d’or.
Son cœur se mit à battre.

Il avait le premier artefact du triptyque sacré de magie défensive et il allait le ramener à la Source !

Assis sur le rempart qui protégeait la Source, Salomon admirait le scintillement de la nuit galacticaine.
Depuis son retour, lentement il se reconstruisait, surmontant peu à peu le désastre de sa quête initiatique.
L’artefact est une découverte majeure mais ce qu’il en couta à l’homme n’avait pas de prix.
Pas un jour, pas une heure, sans une pensé pour Nalla et Markos. Pas une nuit, pas un souffle sans que la douleur ne le vrille.
Mais il survivrait, il avait déjà survécu à tant de choses …..

Salomon frissonna dans la fraicheur de la nuit.
Soudain, il aperçu une lueur dans le ciel, un petit point lumineux qui semblait se rapprocher, il plissa les yeux et son corps se tendit prêt à donner l’alerte. Si quelqu’un avait l’outrecuidance d’attaquer la Source même, il en paierait le prix fort !!

Salomon se rendit vite compte qu’il ne s’agissait pas d’une attaque mais du passage superbe d’une étoile filante décrivant une ellipse dans les cieux étoilés.
Curieusement, il ne se détendit pas pour autant, il venait de reconnaître le signe qui ouvrait le temps de la deuxième quête du triptyque.
Pourrait-il à nouveau affronter ce défi ? Il s’en sentait le devoir mais pas le courage.

Tout à ses réflexions, il n’avait pas entendu arriver Hélissa qui debout derrière lui souffla à l’oreille.

C’était le signe n’est ce pas ?

Il approuva de la tête.

Cette fois, il ne t’est pas adressé Salomon. Tu as donné à cette quête bien plus qu’on ne pouvait en exiger de toi.
C’est au tour des volcaniens de prendre le relai et ils le feront en te rendant honneur.

Sur ces mots, l’étrange créature pale et sombre à la fois, frôla la joue de l’homme et revint sur ses pas.

La diplomate du Substratum se rendit à son laboratoire où elle consulta les derniers enregistrements.
Le phénomène céleste n’avait, bien sur, pas échappé aux scientifiques et aux observateurs.

En l’absence de Sursum, elle prit la liberté de changer les feuilles de route des chercheurs présents à cette heure tardive.
S’adressant aux hommes et aux femmes en blouses blanches qui formaient un petit groupe autour d’elle elle dit :

- Je vous demande de cesser toutes vos recherches actuelles pour ne travailler que sur la trajectoire de l’étoile puis quand les premiers indices arriveront, creusez les, ne laissez rien au hasard. Je veux chaque matin sur mon bureau un rapport sur l’avancée de vos recherches.

Puis se tournant vers un petit homme difforme et mal habillé qui observait la scène négligemment appuyé à l’embrasure de la porte, Hélissa compléta ses consignes.

- Toi Olyphax, tu vas abandonner momentanément tes missions de recyclage pour lancer les enquêtes Tu enverras autant de chasseurs que nécessaires dans tous les lieux où des informations pertinentes, des indices intéressants, des faits inattendus ou surprenant pourront être glanés. Tu les examineras et me communiqueras ceux qui pourraient être en rapport avec l’apparition de l’artefact.


Hélissa savait que la magie serait nécessaire tant pour les recherches que pour l’accomplissement de la quête, elle décida donc de demander audience à Kami, le Directeur du département Magique de la Source.

A peine quelques minutes – le temps d’aller jusqu’au bureau du Directeur – suffirent à Helissa pour obtenir un entretient avec Kami. Il fallait avouer qu’à cette heure de la nuit, peu de choses le retenaient à son bureau. Helissa s’arrêta devant les lourdes portes du bureau, et après un instant, y pénétra.

La pièce en question était immense. Immense et très mal éclairée. Un large tapis à motifs rouge et or emmenait le visiteur jusqu’à trois confortables fauteuils de couleur sombre, placé en face du bureau du directeur. Le siège où Kami devait se trouver était retourné et occulté par la pénombre.

Nous sommes désolés Sergent. Le matériel a été détruit lors de l’impact.

Quoi ?? Dois-je comprendre que vous venez de perdre 12 millions de crédits par votre incompétence, capitaine ?

… Mais nous avons tout de même réussi à obtenir les coordonnées.

Transmettez-moi cela immédiatement. Quant à l’autre problème, nous le règlerons à votre retour. Fin de la transmission.

La voix du sergent fit place à une holocarte, sur le bureau. On y distinguait plusieurs points sur la surface de la planète jaune, ainsi que quelques notes dans un langage que seul le Kaméen comprenait.
Alors que Kami réfléchissait à la manière dont il allait recourir pour redistribuer les fonds et ainsi repayer le précieux matériel, il reprit conscience de la présence de Hélissa. Après un silence, l’homme dit d’une voix calme qui cachait une tension certaine :

Dame Hélissa. Asseyez-vous, ma chère. Quels sombres nouvelles apportez-vous ?

Et dans une volute de fumée, il apparut, assis sur le bureau, face à elle. Il planta ses yeux rouges dans ceux de son interlocutrice, et il attendit l’ombre d’une réponse.